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Le livre bleu de la psychanalyse
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5 février 2006

Les deux poires de l’empereur

pommesComme cette si jolie chanson d’Yves Montand le suggère, les fruits évoquent toujours  les rondeurs maternelles, la rondeur des  seins d’une jeune femme.

« Sous un léger corsage qui fait des plis
Deux petits seins bien sages
Comme c'est joli.
J'allais vers la colline
Sous un grand ciel tout bleu
Et je voyais briller les yeux
De Clémentine, de Clémentine. »

Dans l’une de ses premières œuvres, « L’Interprétation des rêves » Freud raconte le rêve d’un enfant de quatre ans qui, lui, avait choisi des poires, les poires du Kaiser, les poires de l’empereur.

Voici le texte de ce rêve : "Un homme actuellement âgé de trente cinq ans raconte un rêve qu'il se rappelle bien et qu'il dit avoir eu quand il avait quatre ans : le notaire chez qui était déposé le testament de son père (il avait perdu son père à l'âge de trois ans) apportait deux grosses poires blanches (Kaiserbine) : on en donnait une à l'enfant, l'autre était sur l'appui de la fenêtre du salon. Il se réveilla persuadé de la réalité de ce qu'il avait rêvé et demanda obstinément à sa mère la seconde poire ; il affirmait qu'elle était sur l'appui de la fenêtre du salon. Sa mère en rit".

De ce rêve, Freud nous indique que l'analysant ne peut pas en dire grand chose sinon le fait que ce notaire qui était responsable, notons le, du testament et donc de l'héritage que lui avait légué son père, lui avait effectivement apporté des poires. Pourtant il rajoute aussitôt, parmi les associations de ce rêve, un autre rêve qui est loin d'être anodin et qui vient donc contredire cette affirmation : il s'agit en effet du récit d'un rêve de sa mère, rêve qu'elle lui avait raconté et donc dans lequel il était forcément partie prenante, puisqu'il lui était fatalement adressé.

Voici le texte de ce rêve, lui aussi rapporté par Freud : "Elle avait deux oiseaux sur la tête et se demandait quand ils s'envoleraient, mais ils ne s'envolaient pas ; seulement l'un deux vint à sa bouche et la suça."

Ce dernier mot "suça" constitue le mot-pont, le pont verbal, comme le nomme Freud, entre le rêve de la mère et celui de l'enfant. Ce rêve fait tout aussitôt penser au souvenir d'enfance de Léonard de Vinci. Lui, c’est un vautour qui lorsqu’il était encore au berceau, lui avait ouvert la bouche et, plusieurs fois, la lui avait heurtée de sa queue. Pourtant Freud n’interprète pas le rêve de sa mère. Il reste comme un point d'énigme aussi bien pour l'analysant que pour Freud lui-même. On pourrait penser qu'il n'ose pas s'en approcher alors que par ailleurs il prend résolument appui sur la fonction symbolique pour interpréter le rêve du fils puisqu’il écrit : "Les deux poires, pommes ou poires, sont les seins de la mère qui l'a nourri".

L'appui de la fenêtre est comme le balcon, une représentation de la poitrine. Freud insiste sur le fait que sa mère l'a effectivement nourri et plus longtemps qu'il n'est d'usage - voici donc un écho de ces deux oiseaux qu'elle ne souhaite pas voir s'envoler - et, quant au rêve du fils, il en donne cette interprétation :

"Donne (montre) moi de nouveau le sein qui m'a nourri autrefois" et pour justifier sa traduction, sa transcription, souligne ce fait : "Il est évidemment très saisissant de voir la symbolique jouer un rôle dans le rêve d'une enfant de quatre ans, mais ceci n'est pas une exception, c'est la règle. On peut dire que le rêveur dispose des symboles dès le début de la vie" et il rajoute que "même en dehors du rêve, l'homme se sert de représentations symboliques".

Ce rêve  met bien en évidence le fait que c'est par le désir de sa mère que ce petit sujet a été introduit au monde du symbole. Les deux poires de l'enfant font incontestablement écho aux deux oiseaux du rêve de sa mère, beaux oiseaux prêts hélas à prendre leur envol. Mais on remarque aussi qu’avec ces deux poires, deux oiseaux, deux seins, deux phallus, rien ne vient interdire cette dualité, cette réciprocité entre le fils orphelin et sa mère. Bien au contraire, c'est le notaire, celui qui est chargé de transmettre l'héritage du père, qui lui apporte ces poires de l'empereur, "Kaiserbine", sur un plateau.

Ainsi la fonction du père, du père symbolique, celui qui est chargé de faire tiers, de faire coupure entre le désir de l'enfant et le désir de sa mère, ne s'y dessine que de son absence, en filigrane. Cependant dans le choix du nom de ces poires, poires de l’empereur ne peut-on pas dire que ce père grandiose, devenu père de la nation,  cet Empereur,  est appelé à la rescousse par ce petit prince régnant sans partage sur l’empire maternel ?

… mais au fait, ne pourrait-on pas parler aussi bien des prunes du dit empereur ?

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Commentaires
C
me suis trompée dans mon lien ! désolée !
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C
je trouve ce blog fort intéressant ! je cherche tout spécialement un article, mais ne l'ai pas encore trouvé ! je n'ai pas tout lu et avant de mettre des commentaires sur les articles, je veux pouvoir les lire tranquillement sans être dérangée tout le temps ! je reviendrai !! mais bravo ! certains pourraient songer à étudier certains articles ..... ! merci !
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Le livre bleu de la psychanalyse
  • Ce blog, écrit par Liliane Fainsilber et David Berton, sera avant tout une invitation à la découverte de la psychanalyse. Le contenu de ce site est identifié auprès de la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2272-54
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