Promenade dans les jardins d’Epicure
Qui se souvient, à part les philosophes, de la philosophie d’Epicure ? Il ne reste plus guère de lui que l’adjectif fabriqué à partir de son nom. Encore a-t-il été en quelque sorte diffamé, puisque ce terme d’épicurien à été souvent utilisé pour décrire un homme avide des plus basses jouissances, alors que dans les jardins d’Epicure, lieu de son enseignement, ce qui était cultivé c’était la sobriété et la frugalité. Sur ces qualités prenaient alors naissance, parce qu’étant plus rares, les plaisirs de la bouche, les plaisirs du goût – je ne sais si ce mot avait cours au temps d’Epicure- ce qu’on appelle la gourmandise.
Pour Freud, le principe de plaisir consiste à obtenir une diminution de l’excitation de l’appareil psychique la plus basse possible. Elle correspond à la satisfaction des désirs inconscients. Mais cette satisfaction se heurte à beaucoup d’obstacles et notamment ceux de la censure qui réprouve un certain nombre de désirs, soit au nom de l’interdit de l’inceste, soit au nom de la morale. La psychanalyse a pour fonction de lever au moins une partie de ces interdits, ceux qui sont posés par un surmoi trop rigoureux, qui voit pour ainsi dire le mal partout, bien au-delà de ce qui est interdit par rapport aux objets parentaux, et par rapport aux règles de morale.
Mais il existe un au-delà du principe de plaisir, c’est ce que Freud a appelé la pulsion de mort. Il existe un antagonisme, une lutte sans cesse renouvelée entre les pulsions de vie et les pulsions de mort. Le désir des hommes de se faire sans cesse la guerre, d’un bout à l’autre de la planète, en témoigne.
C’est sans doute là que se trouve la divergence de vue entre Freud et Epicure. Pour ce dernier, la mort et la vie s’excluent l’une l’autre, radicalement. Inutile de craindre la mort quand on est en vie puisque la mort n’est pas là et qu’une fois mort, plus personne n’est là pour en souffrir. Pour Freud la vie ne va pas sans la mort. Les pulsions de vie s’intriquent étroitement aux pulsions de mort, pour les amadouer, les civiliser. C’est ce travail de domestication de cette œuvre de destruction, qu’ils retournent éventuellement sur eux-mêmes, faute de pouvoir l’exercer sur les autres, qu’effectuent les analysants au cours de l’expérience analytique.
C’est un chanson de Juliette qui peut donner une idée de ce qui peut être acquis par l’analyse. Elle a pour titre : « Il n’est pas de plaisir superflu » :
« Eve a goûté, sucé, mordu
Le succulent fruit défendu
Le bonheur vaut la réprimande
Ulysse n’est pas revenu
Et Pénélope n’en peut plus
Vite, un homme pour la gourmande !
Profitons de l’instant, saisissons le présent
Osons, ne restons pas inerte
Quand le monde court à sa perte
Il n’est pas de plaisir superflu !
Elle est si bonne l’eau Jésus
Quelle idée de marcher dessus
Viens te baigner rejoins la bande !
Jeanne est pucelle à son insu
Elle a tout donné et rien reçu
Du bûcher qu’on la redescende
Profitons de l'instant, saisissons le présent
[...]
Pendant qu’il traque la morue
Sa femme drague dans nos rues
C’est le sort du pêcheur d’Islande
Ciel ! Votre mari s’est pendu
Madame pas de temps perdu
[…]
Profitons de l'instant.... » (1)
Juliette, une épicurienne, avec son « principe du plaisir superflu », est en accord avec Freud : Elle tient compte de la pulsion de mort – « quand le monde cours à sa perte » - mais son nouveau principe de plaisir n’est pas trop entravé par la censure, les interdits et les règles de la morale : « Pénélope n’en peut plus, vite un homme pour la gourmande ».
Par son sens de l’humour, Juliette échappe et surtout nous permet d’échapper à ces contraintes. C’est le bonheur !
(1) Le festin de Juliette.