Féminisme et féminité
Une jeune femme très sympathique, avec qui je corresponds souvent par mails, m’a posé hier cette question : quels sont les rapports entre le féminisme et la féminité J’ai trouvé cette question très intéressante mais je lui ai demandé quelques jours pour réfléchir un peu à sa question.
Au temps où, dans une de ses lettres d’amour adressée à Martha, Freud lui décrivait tout ce qu’il attendait d’une bonne épouse, qu’elle s’occupe de son foyer et qu’elle élève leurs enfants et que surtout elle ne s’avise pas de lui faire concurrence dans les domaines de tous temps réservé aux hommes, il traduisait en allemand le traité de John Stuart Mill sur l’émancipation des femmes et n’était pas du tout d’accord avec le plaidoyer rigoureux du philosophe en leur faveur.
Cela m’a fait penser aussi au fait que les premiers mouvements d’émancipation des femmes ont eu lieu, aux Etats-Unis, à peu près au même moment où les lois d’abolition de l’esclavage ont commencé à être respectées. C’était au temps de Freud.
Bien sûr il n’est pas question de dénigrer tous les acquis sociaux qui ont été obtenus par ces mouvements féministes, droit de vote, droit de travailler sans avoir besoin de l'autorisation du mari, droit de gérer sa fortune et bien sûr les lois sur l'interruption de grossesse et sur la contraception. Même si, dans nos pays européens, quelques inégalités subsistent encore, il est sûr que dans d'autres pays, ces injustices dont sont victimes les femmes sont encore beaucoup plus graves, dans la mesure où elles sont en quelque sorte privées de paroles.
Mais quand même, ces mouvements féministes, dans leur élan, ont dépassé quelquefois les bornes et peut-être faudra-t-il un jour envisager de créer un mouvement d'émancipation des hommes.
Je plaisante, mais ce que décrit Marcela Iacub, dans une démonstration sans concession, des rapports actuels entre les hommes et les femmes, pourrait le laisser présager.
Je prends appui sur sa démonstration pour évoquer ce que Lacan évoquait de cette « lutte des sexes » en 1948, une lutte des sexes réactualisée, puisque ce livre « Qu’avez-vous fait de la libération sexuelle ? » a été édité en 2002.
Cette nécessité de prendre désormais, dans beaucoup de cas, la défense des hommes est décrite avec une extrême acuité, dans l’un de ses chapitres intitulé « Impossibles paternités ». Louise Tugènes, la narratrice de ce récit, après avoir donné la parole à une féministe de mai 68, sa belle-mère, qu’elle a prénommée, Orchidée, raconte comment, au cours d’un long voyage en avion, sa voisine, une jeune femme lui raconte sa vie mouvementée entre maris, amants et enfants.
«… vous savez, lui dit-elle, ma vie n’a pas été facile non plus… j’ai eu pas mal de problèmes avec les hommes. Heureusement on est assez bien protégées, nous les femmes. Si ces histoires m’étaient arrivées avant, au temps du patriarcat, comme me dit ma voisine qui est une intellectuelle, qui sait ce que je serais devenue ? On dit qu’avant tout était fait pour les hommes.
« Vers l’âge de vingt-cinq ans, j’en avais marre de prendre la pilule, de faire attention au cycle et à toutes ces choses. Je voulais en fait être mère ». Le garçon avec qui elle vivait ne le souhaitait pas mais cette Sidonie (elle n’est pas prénommée, dans ce livre, c’est donc moi qui la baptise de ce nom) a quand même arrêté la pilule et comme rien ne se passait de ce qu’elle souhaitait, elle a un jour eu une relation fugitive avec le meilleur ami de son compagnon qui passait par là. « Et voilà, dit-elle, que je tombe enceinte et que j’avertis officiellement ce dernier et officieusement l’ami de passage qui se défausse immédiatement. Mon compagnon n’était pas très content, mais quand je lui ai dit, à voix très basse, si tu ne veux pas l’assumer, je peux avorter, il me répondit qu’il n’en était pas question si moi je voulais le garder. »
« Je menais une vie tranquille avec ce jeune homme et le bébé, mais petit à petit j’ai commencé à m’ennuyer »
Et la voilà donc partie pour d’autres aventures. Elle rencontre un autre homme et s’en va vivre avec lui, mais voila que les choses se compliquent à nouveau, car son premier compagnon se considérait comme le père de son enfant et voulait continuer à s’occuper de lui. Heureusement, il y a maintenant des tests génétiques et s’est ainsi qu’elle a réussi à se débarrasser de ce premier père encombrant.
Avec son nouveau compagnon, un dentiste, ils ont encore fait un enfant. Mais hélas, elle en rencontre un troisième, emmène alors ces deux enfants en province, loin du domicile du père. Comme elle sent qu’elle va avoir une vie impossible avec cette question des droits de visite, lors des procédures du divorce, son avocat lui conseille vivement de l’accuser d’attouchements sexuels sur sa fille.
Elle a réussi à se débarrasser du second père, une fois encore : ayant perdu toute sa clientèle, il est parti à l’étranger, et n’a plus réclamé la garde de l’enfant et le droit de visite.
Louise Tugènes glisse juste une petite question à son interlocutrice : « Et vos enfants, comment vont-ils ? « Ils sont ravis de leur nouvelle maison à Antibes…
-- Je veux dire qu’est-ce que ça leur fait de ne plus voir leur père…
Quel père ? Ils ont un père, maintenant, un nouveau père magnifique qui nous aime tous »… En attendant le prochain.
Pour Louise Tugènes, cette histoire la décida à se consacrer aux droits des bêtes, plutôt qu’au droit des femmes.
Mais pour en revenir à cette question posée des rapports du féminisme et de la féminité, il me semble qu’il est une sorte d’extension dans le champ social d’une des composantes du complexe de castration féminin, tout comme le machisme, qui est le mépris exprimé des hommes, envers les femmes et l’idée de leur supériorité – est une composante du complexe de castration masculin. Ce sont ces composantes conjuguées des deux formes du complexe de castration, celui des hommes et celui des femmes qui doivent entraîner ce qu’on appelle lutte des sexes dans le champ social. Ce qui en donne un bon éclairage c’est un texte de Freud qui pourrait paraître du dernier ringard, celui du «Tabou de la Virginité ». Il y analyse en effet le thème si souvent repris dans les œuvres d’art, celui de Judith et Holopherne. Pardon pour cette provocation. C’est Marcela Iacub qui m’y a incitée.