Luttes intestines entre institutions analytiques
C'est un fait bien connu qu'existent des relations de rivalités et de jalousies, voire de haine, entre les différentes institutions analytiques, on ne peut guère le leur reprocher car, comme tout groupe humain, elles n'échappent pas aux lois de son fonctionnement et notamment à cette fondamentale nécessité d'avoir un ennemi extérieur, qui déviant la haine vers lui, maintient ainsi, sinon dans l'amour, au moins dans la cohésion, chacun de ces groupes.
Mais je crois quand même que ces luttes, qui peuvent paraître, vue de l'extérieur, "intestines", méritent quelquefois d'être soutenues fermement, d'un point de vue théorique, par exemple, c'est le cas des divergences de vue entre Lacan et Maurice Bouvet, dans leurs approches respectives de la névrose obsessionnelle. Lacan s'insurgeait en effet contre la façon dont Bouvet se situait dans sa fonction d'analyste, se donnant comme une sorte de modèle, d'idéal du moi, ou de moi idéal, critère de normalisation pour l'analysant. Mais ces "luttes" ne sont intéressantes que lorsque ces échanges sont pris au niveau des textes auxquels on peut se référer.
Une des "luttes" actuelles qui serait à soutenir fermement, serait celle de s'ériger contre le fait que les neuro-sciences viendraient corroborer ce que Freud avait découvert du mode de fonctionnement de l'appareil psychique, ramenant ainsi, subrepticement, la psychanalyse, dans le giron de la médecine, giron que Freud avait résolument abandonné, en inventant la psychanalyse, son texte "Eloge funèbre de Charcot, laissant preuve écrite de cet abandon.
D'autre part, dans ces luttes fratricides, il est courant de voir opposer, soit dans l'admiration la plus béate, soit dans le rejet le plus total, les lacaniens et les non-lacaniens. Je ne crois pas que cela ait grand sens de répartir ainsi les analystes.
Je trouve tout d'abord qu'il est absurde de se qualifier ou d'être qualifié d'un adjectif fabriqué à partir du nom propre de quelqu'un d'autre. Cela va tout à fait à l'encontre des positions subjectives de l'analyste, par rapport à la psychanalyse, si celle-ci ne peut être que réinventée par chaque analysant.
Mais de plus, tout comme on ne peut pas dire toutes les femmes, il me semble qu'on ne peut pas dire non plus "tous les lacaniens", parce qu'il y a mille et une façon d'être lié à Lacan. Les uns étaient ses analysants, d'autres ses élèves, certains suivaient ses séminaires ou les lisaient.
En un temps, quand il était à la mode, se dire lacanien pouvait relever du snobisme. Au moins maintenant nous sommes débarrassés de ces lacaniens snobs - c'est toujours ça de gagné - et peut-être que bientôt, cela sera vraiment mal vu et, sans doute, pas pour rien.
Quant aux analystes d'autres écoles, dits non-lacaniens, il y a belle lurette qu'ils se réfèrent à Lacan et à l'inconscient structuré comme un langage.
Mais il y a un argument de plus pour refuser cette bipartition centrée autour du nom de Lacan et de son adjectif, il ne faut quand même pas croire que nous avons tous - analysants ou analystes - des oeillères, il y a bien d'autres travaux d'analystes qui sollicitent notre attention et notre intérêt. Je pense par exemple à ce délicieux petit livre de Winnicott qui s'appelle "Lettres vives" et aussi aux bouquins de Aichhorn et de Kate Friedlander qui ne sont pas du tout démodés dans leur approche des questions de la délinquance. Cela ferait grand bien à nos hommes politiques d'aller y jeter au moins un petit coup d'oeil, ça leur éviterait de raconter quelques énormes bêtises, ce qui ne veut pas dire pour autant que ça leur permettrait de trouver des solutions autres que celles d'une démarche analytique donc au un par un.