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Le livre bleu de la psychanalyse
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24 décembre 2006

Freud et la jeune fille homosexuelle

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En 1920 Freud écrit "Sur la Psychogénèse d'un cas d'homosexualité féminine". Il part de cette remarque que l'homosexualité féminine moins tapageuse que l'homosexualité masculine a non seulement échappé aux sanctions pénales mais aussi à l'attention des psychanalystes.

En étudiant ce texte nous nous apercevrons que, tout comme cet autre texte de Freud, "Dostoïevski et le parricide", qui a révolutionné l'approche médicale et psychiatrique de la question de l'épilepsie, celui-ci a eu une portée décisive quant à l'approche analytique du champ de la perversion.

Comme d'habitude Freud part d'une expérience singulière, son émouvante rencontre avec une jeune fille homosexuelle. Je préfère, pour l’évoquer, la nommer Sarah.

Il raconte donc  son histoire, son histoire familiale : "Une jeune fille de dix- huit ans, belle et intelligente… a suscité le déplaisir et le souci de ses parents par la tendresse avec laquelle elle poursuit une dame "du monde" de quelques dix ans plus âgée. Les parents soutiennent que cette dame, en dépit de son nom distingué, n'est rien d'autre qu'une cocotte". (p.245)

Freud souligne d'emblée que cette passion amoureuse pour une femme plus âgée qu'elle, "une femme mûre mais encore belle" est une réédition "à un degré plus élaboré" de passions amoureuses plus anciennes, survenues à l'adolescence,  envers des personnages de sexe féminin, des figures maternelles.

Un jour comme elle s'affichait par toute la ville en compagnie de cette femme de "mauvaise vie" elle rencontra son père qui lui jeta un regard furieux. Quittant brusquement le bras de la dame, elle enjamba un parapet et se jeta du haut d'un pont de chemin de fer urbain. Elle ne souffrit que de quelques contusions mais Freud pris très au sérieux cette authentique tentative de suicide. Très surdéterminée, cette tentative occupe une place centrale dans l'analyse qu'il fit du mode d'inscription de cette jeune fille dans la fonction phallique, inscription hésitante, mais cependant incontestable du côté des hommes.

J'ai essayé de retracer, en sens inverse de celui choisi par Freud, les étapes de son  mode d'inscription du côté des hommes en repartant de sa première rencontre traumatique celle que fût pour elle la découverte du pénis de son frère aîné.

Voici ce que Freud en avait repéré : "Dans ses années d'enfance la jeune fille était passée par la position normale du complexe d'Œdipe féminin"..

Rappelons que cette position normale  impliquait  qu'elle avait réussi à franchir cette étape décisive, celle de l'abandon de la mère comme objet d'amour avec transformation de cet amour en haine et que de même  cet abandon avait du être  accompagné  de la transformation de son envie du pénis en désir d'enfant, désir d'un enfant du père.

Plus tard, elle avait substitué à son père, son frère aîné et son amour pour la dame avait conservé quelques traces de cet ancien amour.

Freud évoque donc dans ce contexte oedipien, les éléments du complexe de castration féminin dont elle avait été affectée,[ mais sans les préciser plus. Il ne les décrit pas notamment comme participant à un complexe de masculinité (refus de prendre en compte l'absence du  pénis sur son propre corps) ou du côté du démenti de la castration ( de l'absence de pénis de la mère). Vérifier les dates à propos de son texte sur le fétichisme] "La comparaison des organes génitaux de son frère avec les siens propres, qui intervint vers le début de la période de latence… lui laissa une forte impression dont les répercussions purent être poursuivies très loin…"

Quelques pages après, il complète cette affirmation ainsi:

" … l'analyse nous apprit que la jeune fille avait rapporté de ses années d'enfance un "complexe de virilité" fortement accentué. Vive, combattive, bien décidée à ne pas avoir le dessous face à son frère un peu plus âgé, depuis qu'elle avait observé les organes génitaux de ce dernier, elle avait développé une puissante envie de pénis dont les rejetons emplissait encore sa pensée."

Alors que la naissance d'un second frère, lorsqu'elle avait entre cinq et six ans, n'eut apparemment aucune influence particulière sur son développement, celle du troisième, du troisième frère, alors qu'elle avait seize ans, la fit basculer brusquement du côté de l'homosexualité.

Mais déjà Freud nous donne une indication précieuse concernant son enfance : cette jeune fille n'avait jamais été névrosée. Elle n'avait jamais souffert d'aucun symptôme hystérique.

Arrivée à l'âge de la puberté elle était tout à fait bien orientée du côté de la féminité et elle s'intéressait beaucoup à de jeunes enfants auxquels elle prodiguait des soins maternels.

C'est alors qu'un événement mis fin à ces heureuses identifications féminines : sa mère eut un troisième fils, alors que la jeune fille allait avoir seize ans. A partir de ce moment là, elle abandonna les enfants, objets de ses soins attentifs,  pour s'intéresser exclusivement à leurs mères.

Freud nous indique que désormais non seulement elle choisissait des femmes comme objets d'amour mais qu'elle se comportait, elle, vis à vis de ces femmes, comme un homme amoureux, un amoureux transi, chevalier servant, troubadour chantant les qualités de sa Dame.

Par rapport au choix amoureux de cette jeune fille les parents ne se comportaient pas du tout de la même façon.

La mère était au fond ravie de ne plus avoir à supporter sa fille dans la fleur de l'âge comme une rivale dangereuse. Elle acceptait volontiers ce désistement en sa faveur.

Elle s'était toujours comportée de façon injuste vis à vis d'elle et préférait de beaucoup ses garçons. De plus elle veillait de façon ombrageuse à la tenir éloignée de son père.

Ce dernier, par contre, souffrait beaucoup de l'attitude de sa fille. Il ne s'était pas résigné à sa conduite "scandaleuse" et c'est dans une démarche désespérée qu'il avait demandé à  Freud de la guérir de son homosexualité.

Mais je voudrais tout d'abord recentrer cette observation autour des deux autres événements traumatiques marquants de sa jeune vie tout d'abord le fait que son père avait donné satisfaction à sa mère, lui avait donné un enfant, l'enfant qu'elle désirait obtenir, et également    le désaveu du père quand il avait rencontré sa fille en compagnie de sa belle.

Ces deux événements sont en fait très liés car  la tentative de suicide de la jeune fille répond certes au mouvement de colère du père au cours de cette mauvaise rencontre mais il est aussi, en quelque sorte, une interprétation mise en acte de ses motivations inconscientes vis à vis de lui : amour bafoué et désirs de vengeance à son égard mais aussi réalisation de son désir inconscient d'avoir un enfant du père.

Freud décrit ainsi sa situation subjective : outre le désir de se donner la mort par désespoir faute de pouvoir continuer à fréquenter sa dame "la tentative de suicide signifiait encore deux choses de  plus : un accomplissement de punition (autopunition) et un accomplissement de désir. De ce dernier point de vue elle signifiait la victoire du désir dont la déception l'avait poussée dans l'homosexualité, à savoir le désir d'avoir un enfant de son père, car elle "tombait" maintenant par la faute de son père. En note le traducteur  rajoute que  le verbe niederkommen signifie "littéralement "venir bas" et signifie à la fois "tomber" et "accoucher", "mettre bas".

Mais cette tentative de suicide est aussi une manifestation de ses violents désirs de mort à l'égard du couple parental car comme l'indique Freud "personne ne trouve l'énergie psychique pour se tuer si premièrement il ne tue pas un objet avec lequel il s'est identifié et deuxièmement ne retourne pas là contre lui-même un désir de mort qui était dirigé contre une autre personne".

Et même dans ce désir de mort son désir d'enfant s'exprimait encore car " dans l'identification avec la mère qui aurait du mourir en accouchant de cet enfant dont elle (la fille) avait été privée, cet accomplissement de punition lui-même devient à son tour un accomplissement de désir".

C'est donc sur les liens de cette jeune fille à son père que Freud a fondé son analyse mais c'est aussi, à cause de ces mêmes liens, qu'il l'a interrompue de peur d'être comme ce père, trompé, bafoué dans son amour.

Pourtant, comme le souligne Lacan, quand il relit cette histoire analytique, tous ces rêves de transfert témoignaient de son désir d'être aimée d'un homme et d'en avoir des enfants.

Il aurait mieux fait de l'écouter, de prendre en considération ce qu'elle lui disait, au lieu de l'expédier voir un autre analyste ou une femme analyste. C'est là que notre petit père Freud s'est rudement planté.

Il aurait mieux fait de prendre un peu plus en compte le rôle plus que néfaste que jouait la mère de Sarah : c'est en effet elle qui lui barrait la voie vers la féminité, car elle ne supportait, en tant que femme, aucune rivale et ne lui donnait pas le droit d'être aimée et reconnue par son père. C'est à cela que Freud, dans le transfert, aurait pu remédier.

Enfin, je brode un peu, mais à part broder, que pourrait-on faire d'autre, quand on relit ces cinq psychanalyses ? Comme le suggérait Freud, elles se lisent comme des romans et c'est en tant que telles qu'il faut les lire et se prendre soi-même au jeu, se demander ce qu'on aurait fait et changer ainsi la fin du roman, sa conclusion à sa guise. 

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Commentaires
R
Bonjour,<br /> <br /> Vous citez une suggestion de Freud :<br /> <br /> "Comme le suggérait Freud, elles se lisent comme des romans et c'est en tant que telles qu'il faut les lire et se prendre soi-même au jeu, se demander ce qu'on aurait fait et changer ainsi la fin du roman, sa conclusion à sa guise. "<br /> <br /> Est-ce que vous voudriez bien m'indiquer dans quel texte on trouve cette remarque ?<br /> <br /> Merci
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I
Bonsoir chère Liliane<br /> <br /> Si l’on parle de guérir l’homosexualité, est-ce que ça veut dire que c’est une maladie ?<br /> Ou bien est-ce parce qu’une personne viendra voir un(e) psychanalyste parce qu’elle souffre de son homosexualité ?<br /> Si c’est une souffrance d’être homosexuel(le), est-ce que ça peut être à cause aussi de la norme ?<br /> <br /> Voilà ce que je me demande<br /> C'est emmêlé.<br /> <br /> Belle année à vous<br /> Amitiés, Ingrid
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Le livre bleu de la psychanalyse
  • Ce blog, écrit par Liliane Fainsilber et David Berton, sera avant tout une invitation à la découverte de la psychanalyse. Le contenu de ce site est identifié auprès de la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2272-54
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