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Le livre bleu de la psychanalyse
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10 février 2007

"Ma force s'enracine dans ma relation à ma mère"

goethe

 

 

 

L'oeuvre littéraire dans la vie de Goethe et l"oeuvre analytique dans la vie de Freud

A propos du souvenir d'enfance de Goethe si amusant, celui où il raconte comment il avait envoyé par la fenêtre toute une série d'ustensiles de cuisine, d'assiettes et de pots, souvenir d'enfance qu'il raconte dans son ouvrage "Un souvenir d'enfance de poèsie et vérité", je me reposais la question des liens ambigus qu'entretient la psychanalyse avec la littérature.

Freud prend tout d'abord ce récit de Goethe comme un exemple de ce qu'est en fait un souvenir-écran, " cette chose conservée dans la mémoire" qui est "l'élément le plus significatif de toute cette partie de vie de l'enfance, ou bien qui l'est devenu après-coup, "sous l'effet d'expériences ultérieures."

Il généralise donc cette fonction du souvenir-écran à partir de ce morceau de littérature :

"Chaque fois que la psychanalyse travaille sur une biographie, elle parvient à élucider de cette façon la signification des plus anciens souvenirs d'enfance. Davantage : on considère en règle générale que c'est le souvenir que l'analysé met en avant, qu'il raconte en premier, par lequel il introduit la confession de sa vie, qui s'avère être le plus important, celui qui recèle donc les clés des tiroirs secrets de sa vie psychique. Mais dans le cas de de ce petit événement de l'enfance narré dans poésie et vérité, il y a trop peu d'éléments qui viennent au devant de nos attentes".

Freud donnerait-il ainsi si vite sa langue au chat ? Pas encore. il raconte un souvenirs-écran de l'un de ses analysants, souvenir proche de celui de Goethe.

"Je suis l'aîné, raconte-t-il à Freud, de huit ou neuf enfants. L'un de mes premiers souvenirs est que mon père, assis sur son lit en costume de nuit, me raconte en riant que je viens d'avoir un petit frère. J'avais alors trois ans et neuf mois... Ensuite je sais que...peu de temps après... j'ai jeté divers objets, brosses... souliers et autres choses, dans la rue, par la fenêtre".

Puis une de ses élèves ou consoeur vient au secours de Freud pour poursuivre sa démonstration avec deux autres petites histoires d'analysant. L'un, le petit Erich, à l'âge de trois ans et demi, alors que sa mère attendait un nouvel enfant, avait pris l'habitude de jeter lui aussi par la fenêtre différents objets très lourds, rouleau à patisserie, mortiers et enfin de lourdes chaussures de montagne de son père.

La seconde confirmation qu'elle apporte à Freud est le récit d'une jeune fille de dix-neuf ans qui raconte une scène de son enfance : "je me vois terriblement mal élevée, assise sous la table de la salle à manger, prête à en sortir à quatre pattes. Sur la table se trouve mon bol à café ... que j'avais l'intention de jeter par la fenêtre, au moment où grand-maman entra... C'était le jour de la naissance de mon frère..."

Freud prenant alors appui sur ce matériel analytique fait un retour en boucle sur le récit de Goethe et s'interroge sur les frères et soeurs de l'écrivain. il s'avère qu'ils furent nombreux et que beaucoup moururent en bas-âge. Avec sa soeur Cornélia qui naquit quinze mois après lui, ils furent les seuls survivants de cette série de six enfants .

Freud s'interrogeant sur la période à laquelle a dû se passer cet événement de son enfance, arrive à la déduction que celui dont il a été le plus jaloux est son frère Hermann né alors que le jeune Goethe avait trois ans et demi. C'est d'autre part, lui qui a vécu le plus longtemps, puisqu'il est mort à l'âge de six ans et que Johann Wolfgang avait dix ans au moment de cette mort. Par ailleurs il y avait trop peu d'écart entre lui et sa soeur Cornélia pour qu'il ait pu être jaloux d'elle. C'était donc plutôt à la naissance de ce frère qu'il aurait souhaité le faire passer par la fenêtre, le retourner, si on peut dire, à l'envoyeur.

Mais ce qui a surtout retenu mon attention dans ce texte de Freud qu'il consacre à ce souvenir d'enfance de Goethe, c'est la conclusion inattendue qu'il en tire :

Le jeune Goethe, écrit Freud, témoignait ainsi en racontant ce souvenir de ceci : "J'ai été un enfant chanceux; le destin m'a maintenu en vie bien que je fusse donné pour mort quand je vins au monde. Mais il a éliminé mon frère, de sorte que je n'ai pas eu à partager avec lui l'amour de ma mère"... Or je l'ai exprimé dans un autre endroit, quand on a été le favori incontesté de sa mère, on en garde pour la vie ce sentiment conquérant, cette assurance du succès... Et une remarque du genre : ma force s'enracine dans ma relation à ma mère, aurait pu être mise à juste titre par Goethe en exergue à sa biographie."

Question : n'aurait-elle pas pu être également mise en exergue dans la biographie de l'inventeur de la psychanalyse ?

Lui aussi avait perdu un petit frère, Julius, et il se savait être le préféré de sa mère.

L'importance du désir de la mère dans le destin de chaque sujet n'est plus à prouver, mais cette force qui s'enracine dans cette relation à la mère, ne doit-elle pas être dégagée, libérée de ses liens, car c'est un fait connu, les racines empêchent de bouger, elles peuvent devenir entraves ? Quel rôle joue donc le père, dans l'acquisition possible de cette force ? Dans le souvenir d'enfance de Goethe, Il y semble absent, en tant qu'objet rival de l'enfant, puisque c'est le frère mort qui est venu occuper cette place.

Ne peut-on constater que si aussi bien Freud que Goethe ont puisé leurs forces dans l'amour de leur mère, ce n'a pas été sans un immense effort de sublimation, l'un par son oeuvre littéraire, l'autre par son invention de la psychanalyse. N'est -ce pas cet immense effort qui les a séparés, tous deux de leurs enracinements, de leurs attachements à la mère ? N'est-ce pas une façon de suggérer dès lors que la sublimation à une fonction de suppléance par rapport à la fonction paternelle, qu'elle vient y remédier ?

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Le livre bleu de la psychanalyse
  • Ce blog, écrit par Liliane Fainsilber et David Berton, sera avant tout une invitation à la découverte de la psychanalyse. Le contenu de ce site est identifié auprès de la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2272-54
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