Une Passe-Muraille, la psychanalyse ?
Je devais préparer un texte qui m'a été demandé pour un ouvrage collectif. Ce livre a un titre que je n'aurais peut-être pas choisi mais qui annonce bien le projet. "Psychanalyse sans frontière". Il a été édité au champ social et a été dirigé par Joseph Rouzel.
Ce titre annoncé m'a tout de suite fait penser au " Passe-Muraille " de Marcel Aymé. Cela m'a aussitôt donné l'idée de personnifier la psychanalyse. Elle serait, en somme, elle-même, une Passe-muraille capable de franchir les frontières d'autres champs de savoir qui lui sont proches à moins que ce ne soit le transfert qui lui serve de passe-muraille ou de passe-port.
Je serais sans doute parti de là, si ce n'est qu'après-coup je me suis dit que c'était vraiment mal augurer de ce projet, étant donné que le héros de ce roman finit pris dans la muraille sans pouvoir s'en dégager. D'autre part, le terme même de muraille impliquerait quelque chose d'infranchissable entre ces différentes approches des sciences humaines. Plutôt que de murailles sans doute faudrait-il évoquer des orées de la psychanalyse. Ce n'est en effet pas pour rien que Lacan parlait des sciences affines à la psychanalyse.
Cependant cette métaphore du passe-muraille pourrait quand même être maintenue, c'est à dire utilisée telle quelle, mais non pas pour rendre compte des extensions possibles de la psychanalyse à d'autres champs, notamment celui du champ social, avec Totem et tabou, pour la participation de Freud, ou des quatre discours avec Lacan, mais pour rendre compte de la muraille qu'il s'agit de franchir à chaque fois entre le savoir inconscient et le discours courant.
Ces bras et ces jambes qui sortent de la muraille peuvent en effet imager les petites bribes de savoir venues du réel, qui arrivent à se manifester en tant que formations de l'inconscient, rêves, lapsus, symptômes, actes manqués .... En somme, elles ne peuvent toutes que laisser des plumes en traversant la muraille du langage.
Cette personnification de la psychanalyse, je ne la voyais pas tout d'abord comme une vieille dame, mais plutôt comme une jeune fille primesautière mise au monde par Freud.
Il y a longtemps, dans mon premier livre, j'avais inventé un mythe de la naissance de la psychanalyse et bien loin d'en faire une sorte de messagère du savoir inconscient dans d'autres champs de savoir, je la présentais, au contraire, comme une incorrigible gauchiste capable de remettre en cause les systèmes du monde les mieux établis, de bousculer les certitudes religieuses et de titiller les points d'impasses de la logique.
Mais comme cela irait quand même à l'encontre de ce qui est mon projet actuel qui impliquerait que la psychanalyse fraye avec les sciences qui lui sont parentes avec beaucoup de sérieux et d'ouverture d'esprit, il faut donc que je lui redonne son âge. Mais je ne suis pas sûre de pouvoir la faire parler. Je sais bien que Lacan a fait parler la Vérité, mais c'est justement parce que c'était elle.
On ne fait pas forcément parler la Charité, la Paix ou la République, par contre on peut parler en son nom.
Pour avancer un peu dans ce projet et y trouver des pistes de travail, j'ai relu un texte de Freud que je n'avais pas relu depuis fort longtemps qui a pour titre "Contribution à l'histoire du mouvement analytique"
Heureusement que Freud y avait mis en exergue cette belle phrase "Fluctuat nec mergitur" pour souligner le côté insubmersible de la psychanalyse, parce que ce texte dégage une impression de profonde amertume et de déception de sa part. C'était justifié car on se rend compte de tout ce qu'il a dû affronter de la part de tous les ennemis de la psychanalyse, y compris au sein même du groupe des psychanalystes.
J'ai été surtout émue par cette phrase : " il m'avait semblé qu'en maintenant le centre de la psychanalyse à Vienne on ne pouvait qu'entraver le mouvement, au lieu de le favoriser. Une ville comme Zurich placée au coeur de l'Europe ... me semblait mieux se prêter à jouer le rôle de centre du mouvement psychanalytique. Je m'étais dit, en outre, qu'un autre obstacle résidait dans ma personne : la faveur et la haine des partis l'avaient tellement déformée que personne ne savait plus exactement à quoi s'en tenir sur mon compte. Si les uns me comparaient à Colomb, à Darwin, à Kleper, d'autres me traitaient simplement de paralytique général. Aussi voulais-je me mettre à l'arrière-plan... "