« Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée ! »
« Je t'apporte l'enfant d'une nuit d'Idumée!
Noire, à l'aile saignante et pâle, déplumée,
Par le verre brûlé d'aromates et d'or,
Par les carreaux glacés, hélas! mornes encor,
L'aurore se jeta sur la lampe angélique.
Palmes! et quand elle a montré cette relique
À ce père essayant un sourire ennemi,
La solitude bleue et stérile a frémi. »
Si j’ai repris ce poème de Mallarmé, c’est justement parce que Lacan s’était moqué d’un dénommé Chassé, sans doute un critique littéraire, qui reprochait au poète de prendre toutes ses idées dans le Littré et que pour le défendre Lacan avançait cet argument : « si en effet chacun pensait à ce qu’est la poésie, il n’y aurait véritablement rien de surprenant à s’apercevoir que Mallarmé devait s’intéresser vivement, s’intéresser au signifiant. Simplement comme on balance entre je ne sais quelle théorie vague et vaseuse sur la comparaison ou la référence à je ne sais quels termes musicaux, c’est là que l’on veut expliquer l’absence prétendue de sens chez Mallarmé, sans s’apercevoir du tout qu’il doit y avoir une façon de définir la poésie en fonction des rapports du signifiant, qu’il y a une formule peut-être un peu plus rigoureuse, et qu’à partir du moment où on donne cette formule, il est beaucoup moins surprenants que dans ses sonnets les plus obscurs Mallarmé soit mis en cause. »
Quelle peut être cette formule ? Dans les lignes qui suivent, Lacan nous en livre le secret, à propos, cette fois-ci des poèmes d’Homère, même si nous avons perdu depuis longtemps la signification qu’ils avaient en leurs temps, « c’est la distanciation du signifiant au signifié qui nous permet de comprendre qu’une concaténation particulièrement bien faite, c’est cela qui caractérise précisément la poésie, ces signifiants auxquels nous puissions probablement indéfiniment jusqu’à la fin des siècles donner des sens plausibles ».
Une « concaténation spécialement bien faite » telle est l’essence de la poésie, mais n’est-elle pas également celle de l’interprétation ? Cette concaténation ne transforme-t-elle pas alors ce qui jusque là n’avait été que la parole bâillonnée du symptôme, la « chanson de geste de sa névrose », en poème, le poème singulier de la vie du sujet.
Tout névrosé est un poète qui s’ignore, peut-être pourrait-il le découvrir à la fin d’une analyse. Mais peut-être n’est-il pas donné à chacun de déclarer ainsi « je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée », avec le don d’un poème.